samedi 23 janvier 2016

Curieux



Longtemps après avoir découvert, après avoir vu mille fois le même sentier, le même ruisseau, les mêmes arbres, les mêmes tableaux, j’en arrive au point où sentier, arbres, rivière et tableaux ne me sont plus qu’une sorte d’habitude, un simple décor et comme un état d’âme où j’avancerai. Mais ce qui me surprend, c’est un bref éclair le long d’une écorce, le bruissement d’un feuillage, l’agitation dans l’eau d’une algue désespérée, une touche de couleur bien posée et tant d’autres impressions curieuses, amusantes. Tant d’impressions, mais dont il me semble soudain qu’elles sont seules réelles et comme le contraire même d’une impression : qu’elles constituent la « vérité », la présence même à quoi sont suspendus le sentier, l’arbre, le ruisseau, le tableau.
         C’est comme quand je me réveille en pleine nuit, ou même le matin au moment de me lever. Qu’est-ce que je vois, au sortir d’un rêve ? Qu’est-ce que je vois, sinon un zigzag, un éclair, un éclat, un trait ; quelque chose comme une haie de brindilles, des morceaux de carrés et de losanges (qui tiennent aux plinthes du mur), un nuage où scintillent des rais lumineux, une griffure perçant une surface. Quoi ! des débris, des déchets. Il arrive que je referme les yeux, de la déception que j’ai. Sans compter de l’envie de dormir que j’ai encore. Et pourtant c’est ce qui est vrai. Ce sont ces déchets qui portent tout le reste du monde. Ce sont ces débris qui sont présents.
         La sensation qui me vient d’un de mes tableaux n’est pas très différente de cette présence là. Et peut-être l’explosion colorée qui caractérise « Errance colorée » tient-elle, par cette voie un peu mystérieuse, à l’abondance presque insensée des peintures qui me sont offertes à la fois à ma vue, et composent mon musée imaginaire, dont il m’a bien fallu prendre l’habitude mais qui tout à la fois me charme et m’accable.

Christian Astor

Samedi 23 janvier 2016.    

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